Félix Daviet-Noual
Il est difficile d’être passé à côté du shutdown, qui a ébranlé les Etats-Unis et le monde du 1er au 15 octobre 2013. Le shutdown (entendez “fermeture”) est l’arrêt partiel des administrations publiques aux Etats-Unis, suite à un blocage au Congrès, Parlement américain.
Il y a quelques jours, ce terme était encore quasi inconnu. Pourtant, ce n’est pas un événement inédit. Déjà au XVIIIe siècle, George Washington se débattit pour que les soldats obtiennent leur solde. Mais le shutdown “version Obama” s’est démarqué par le risque du défaut sur la dette fédérale américaine qui couvait.
La survie des Etats-Unis dépendait d’un accord politique. Comme un condamné à mort regarde sur l’horloge le temps qu’il lui reste, Obama a pressé ses adversaires. Comme l’épée de Damoclès ne tenant qu’à un fil, le défaut menaçait de perforer l’économie mondiale. La seule porte de sortie était un consensus politique entre les deux partis. Pour la question de la dette, on en reparlera plus tard, lorsque Yellen à la tête de la Fed n’aura plus de soucis.
Les émotions face aux faits
Nous, lecteurs, téléspectateurs, observateurs lointains, ne pouvons manquer les symboles frappants qui monopolisent nos médias.
L’administration Clinton en 1995, a connu 21 jours de shutdown. Pourtant, il n’y a pas eu d’apocalypse. Je ne me souviens pas avoir vu des images de pillages de magasin, de krach boursier. Chacun se rappelle que nos voisins belges ont vécu sans gouvernement pendant 541 jours et les résultats furent loin d’être désastreux.
Mais le shutdown émeut, c’est un fait. Selon Barack Obama, des dizaines de milliers d’Américains lui ont envoyé des lettres “déchirantes” pour lui témoigner de l’extrême difficulté qu’engendre le shutdown.
Qui ne compatirait pas avec les familles de soldats, tués en Afghanistan, privées de funérailles dignes pour cause de fermeture fédérale ? Aussi, pour quiconque est allé à Washington, ou même a regardé les nombreux films tournés dans ses quartiers, la capitale fédérale transformée en ville-fantôme a des airs lugubres. En réalité, aucun employé municipal de la capitale n’a quitté son poste, puisque tous ont été considérés comme “essentiels”. Les images des cimetières militaires fermés en Normandie parachèvent la vision nostalgique.
Sans oeil critique, on peut aisément se laisser prendre par l’émotion voulue par le jeu médiatique. Tout cela ne serait-il pas exagéré ?
Le shutdown n’est pas une coupure nette et brutale des dépenses. L’Etat fédéral ne passe pas d’un extrême à un autre du jour au lendemain. D’abord, 85% de l’ensemble des services financés par l’Etat fédéral ont été assurés. De surcroît, 1 350 000 employés essentiels des services fédéraux ont continué de travailler durant le shutdown ; cela représente 63% de l’effectif. Les fonctionnements de l’armée, du service postal, du système carcéral et de la Réserve fédérale n’ont pas du tout été bouleversés. Les bénéficiaires de la Sécurité sociale, des agences fédérales d’aide, des allocations chômage, des coupons alimentaires, ont reçu leurs prestations. Les versements des salaires d’Obama et des parlementaires, ainsi que les retraites des fonctionnaires fédéraux n’ont été, pas un moment, menacés.
Alors, pourquoi le shutdown a-t-il créé autant de remous dans les médias ?
Un shutdown symptôme d’une crise de solvabilité
Faut-il le rappeler, la dette publique américaine est colossale. Le pays vit à crédit et doit beaucoup d’argent à ceux qui lui ont prêté, la Chine (1 277 milliards de dollars) et le Japon (1 135 milliards de dollars) en premier. Or, Barack Obama est revenu demander au Congrès la permission de dépenser plus, pour financer sa réforme de santé (loi sur les soins abordables ou Obamacare).
Obama s’est heurté à une vieille loi de 1917, le plafond de la dette. Ce sont les parlementaires des Etats-Unis qui votent le budget annuel, l’année fiscale s’achève le 30 septembre. S’il y a trop de dépenses prévues et que l’argent récolté par les impôts est insuffisant, l’administration (department of Treasury) peut émettre des titres de dette. L’Etat reçoit de l’argent frais et “l’investisseur” obtient un papier officiel sur lequel est écrit “le gouvernement des Etats-Unis vous doit tant d’argent“ ; autrement dit, un bon du Trésor. Mais la loi de 1917 a fixé une limite à ces dettes, le célèbre “plafond”, remonté à de nombreuses reprises pour permettre aux administrations de financer leurs programmes.
Obama a gagné. Le plafond de 16 700 milliards de dollars sera relevé. Cela signifie que :
- le défaut des Etats-Unis est repoussé à une date ultérieure ;
- les Etats-Unis s’enfoncent dans la dette. Mais il y aura plus d’Américains en bonne santé. C’est ce qu’on nous dit en tous cas.
L’effet du shutdown sur l’économie américaine et mondiale
Regardons les cas précédents. Le coût du shutdown de 21 jours sous Clinton en 1995 avait été évalué à 1,5 milliard de dollars de l’époque ; soit 2 milliards de dollars en 2013.
Les effets possibles :
- un ralentissement de la consommation. Des milliers de fonctionnaires ont été au chômage technique sans solde. Sans salaire, vous limitez votre consommation. La demande freine et les entreprises dégageront moins de bénéfices ;
- un manque d’efficacité dans le travail. Ce problème a été dénoncé par Penny Pritzker, secrétaire au commerce de l’administration Obama. Les employés d’un service seraient en trop petit nombre pour fournir un travail efficace ;
- une difficulté grandissante de l’Etat fédéral à emprunter. Le budget US est depuis longtemps déficitaire et la dette est le carburant indispensable à la bonne marche de l’Etat.
Face à ces effets, les estimations de notre shutdown — qui n’a duré que 14 jours — sont démesurées par rapport au cas Clinton. Certes, il faut plus de billets verts qu’il y a quinze ans pour arriver à acheter la même chose, mais les prévisions sont stratosphériques.
Estimations
- Pour le cabinet IHS Inc., l’économie US aurait perdu 2,24 milliards de dollars avec le shutdown ;
- Selon l’agence d’évaluation financière Standard & Poor’s Ratings, la fermeture partielle des administrations aurait coûté 24 milliards de dollars ;
- Chaque semaine de shutdown aurait amputé l’économie des Etats-Unis de 8 milliards de dollars selon Goldman Sachs ; 16 milliards de dollars sont donc partis en fumée ;
- 3 semaines équivaudraient à 55 milliards de dollars selon Moody’s Analytics, donc les 14 jours du shutdown auraient pénalisé l’économie de 36,7 milliards de dollars ;
- Des dommages locaux sont aussi à prévoir : selon l’universitaire Stephen Fuller, les pertes de Washington s’établissent à 200 millions de dollars par jour. Donc, la capitale des Etats-Unis aurait perdu 2,8 milliards de dollars à cause de 14 jours de shutdown.
De telles fourchettes, de 1 à 15, laissent songeur.
Contrairement à celle d’un Français, la vie d’un Américain se passe en majorité à l’échelon local, l’Etat fédéré (Floride ou Wisconsin) et même dans son comté (county). Au Montana, l’habitant du comté de Garfield ne se soucie pas du comté de Flathead, le Californien ne se préoccupe pas habituellement des affaires texanes. On peut supposer que ce qui se passe au niveau fédéral n’intéresse pas la majorité de la population. L’Etat fédéral ne représente qu’un dixième de son horizon. Alors que nous autres Européens voyons Washington comme le coeur et le cerveau des Etats-Unis, la majorité des Américains ne ressent nul effet réel déterminant dans son existence quotidienne.
Par conséquent, dans quelle mesure le shutdown est-t-il préjudiciable pour la croissance américaine et mondiale ?
Tant d’argent perdu…mais pour qui ?
L’économie US aurait perdu 24 milliards de dollars en 336 heures selon les journaux et les experts ! A Washington, ils placardent déjà les avis de recherche. Quel est ce grand show de magicien qui fait apparaître des lapins d’un chapeau et disparaître 24 milliards de dollars des caisses de la première économie mondiale ?
Comme le souligne Bill Bonner, tout cet argent ne s’est pas désintégré, n’a pas disparu. Il a simplement changé de mains. Cet argent est revenu vers ses “propriétaires légitimes“. Cet argent ne représente un manque que pour les programmes gouvernementaux. Les entreprises, créatrices de richesse, ont continué à mettre leur réveil le-matin et à produire.
Certes, certains services ont vu leurs effectifs diminuer. Par exemple, le tourisme fut atteint. Les parcs nationaux ont été fermés. Les musées aussi. Mais les gens se sont probablement trouvé une autre occupation.
Les activités immobilisées sont-t-elles créatrices de richesse ?
Les activités touchées par le shutdown sont-elles créatrices de richesse ? Les billets d’entrée pour la Statue de la Liberté enrichissent-il les Américains ?
La richesse est une abondance de biens et de revenus. Il est admis qu’une richesse s’acquiert par l’épargne et les fruits du travail. Un foyer riche est riche car il possède des biens de valeur (patrimoine immobilier, métaux précieux, héritage familial, loterie) et/ou parce que son travail le rémunère beaucoup. De la même manière, un pays est riche lorsque ses habitants sont fortunés, lorsque ses entreprises dégagent des bénéfices et embauchent.
L’Etat est une collectivité juridique existant sur un territoire délimité sur lequel il est souverain. Le shutdown américain a paralysé certains services. On parvient à prédire une “sanction” immédiate sous la forme d’une perte, d’un ralentissement d’activité. Mais la croissance de la richesse est-elle aussi freinée ?
Un service public n’a pas pour but de dégager des profits, mais de fournir un service à la totalité des citoyens, service qui ne pourrait pas être assuré de façon rentable par le secteur privé. Les services publics sont financés par les recettes fiscales et, lorsque celles-ci sont insuffisantes, par l’emprunt. Les pouvoirs publics sont incapables de rémunérer certains agents autrement que la dette levée par l’Etat fédéral. Le shutdown représente donc ce que les Etats-Unis ne peuvent réellement s’offrir. Certes, les Etats-Unis sont en mesure d’emprunter de l’argent mais jusqu’à quand ?
Il existe une grande différence entre la croissance du crédit et la croissance de la richesse. Ce qui est vrai à l’échelle d’un foyer le reste à l’échelle d’un Etat.
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